La mixité des boards améliore les prises de décision

 

SERIE D’ETE. PAROLES DE PROF 9/12. Atteindrons- nous les objectifs du quota de femmes dans les conseils d’administration dès 2017 ? La réponse est non ! Pourtant plus de diversité amène à une meilleure prise de décisions. Et la France ne peut pas se passer de la moitié de ses talents.

Depuis octobre 2015, il est officiellement acté que, malgré une dynamique importante, le quota de 40 % ne sera pas déployé dans tous les conseils d’administration et conseils de surveillance concernés par la loi dite Copé Zimmermann*.

La posture du Haut Conseil à l’Egalité est clairement celle de la pédagogie et de la mobilisation continue tant des pouvoirs publics que des relais d’opinion, des réseaux de dirigeants et de réseaux féminins tels la Fédération des femmes administrateurs, à échelle nationale et en région. La dynamique doit perdurer, être soutenue et se déployer avec un souci majeur en tête : ne pas, pour atteindre l’objectif dit de féminisation (ou de rééquilibrage), perdre de vue un objectif moins souvent affirmé, et pourtant, celui de la performance accrue par la diversité.  

Une vision équilibrée

C’est bien sur ce sujet que j’ai envie d’attirer l’attention car nombre d’études et d’éléments contradictoires circulent. La vision idéale est que les dirigeants féminisent leurs conseils, non par nécessité – de se conformer à une règle – mais par conviction. Chimère me direz-vous ? Certes non !

Il y a de plus en plus de dirigeants convaincus : d’abord, ceux de la génération Y qui considèrent la mixité comme une non-question, et qui s’attachent aux compétences, à la diversité de points de vue et de parcours, ensuite, à l’autre bout du spectre, des hommes plus senior que leur parcours professionnel, ou personnel – notamment ceux qui sont pères de filles diplômées et en âge d’avoir des responsabilités – a rendus plus ouverts sur la nécessité absolue de « scanner toute décision stratégique » à l’aune d’opinions diverses pour avoir une vision équilibrée.

Ensuite, il est acté que le sujet de la mixité dans les conseils, comme celui de la mixité en général dans les entreprises et les organisations, est avant tout un sujet de performance. Certes, la diversité crée du désordre dans un système monolithique, donc se révèle être, au départ, un coût direct. Tout dépendra donc de la capacité d’une organisation à gérer cette diversité de genre.

Un autre argument parfois évoqué porte sur le moindre degré de compétences des femmes, insuffisamment dotées d’une expérience de dirigeant. Peut-être. Mais il faut laisser le temps aux femmes d’occuper ces fonctions – d’où la question du « pipe-line » et de l’accès aux comités de direction et comités exécutifs. Je ne peux, en outre, ne pas être interpellée par le syndrome du profil « miroir dirigeant ». Le dirigeant (la dirigeante) a-t-il (elle) besoin de compères/commères – voilà encore un mot féminisé douteux – ou d’experts aptes à lui ouvrir d’autres horizons ?

Une autre gouvernance

Il y a aussi parmi les études menées, dans le monde, qui tentent de démontrer un lien entre mixité et performance, celles qui évoquent une absence de lien, voire une corrélation négative…

J’ai été interpellée, par un travail mené sur 3.000 acquisitions aux Etats-Unis, entre 1998 et 2010, qui établit une corrélation entre proportion de « directeurs » femmes (executive ou non executive) et moindres proportions des opérations de croissance externe : un taux d’acquisitions réduit de 18 %, des dépenses réduites en moyenne de 97,2 millions de dollars, et une taille moyenne des acquisitions inférieure de 12 %.

Comment l’expliquer ? Et surtout, comment l’interpréter ? Est-ce dû au fait que les femmes sont plus réticentes face aux risques (stéréotype de genre) ou qu’elles considèrent qu’étant donné que près de la moitié des fusions et des acquisitions finissent mal, on doit y regarder à deux fois, interpellant ainsi un modèle des affaires masculin agressif (stéréotype de genre) ? Davantage de femmes dans un conseil change-t-il la dynamique des interactions ?

Aaron Dhir, professeur à la Faculté de droit de Hall Osgoode d’York University et spécialiste de la gouvernance, confirme : « L’hétérogénéité provoquée améliore la qualité de débats et plus globalement le gouvernement d’entreprise ».

Quel modèle d’efficience ?

Des recherches ont déjà établi une corrélation entre mixité du conseil, performance du titre et retour sur les capitaux propres. D’autres, le contraire… Mais dans ces dernières, a-t-on remis en cause, pour mesurer l’efficience, le modèle dominant de la finance peu inspiré par une vision moyen/long terme ? Une étude  démontre que des arbitrages en faveur des augmentations des salaires se font au détriment du versement des dividendes dans les entreprises où les femmes sont en bonne proportion dans les boards. La conclusion est alors que les entreprises sont moins rentables…  Une remarque, toutefois : en ayant motivé les salaries, ces entreprises préparent de meilleurs résultats à moyen terme…

J’adore les débats mais il est temps de faire simple : « Plus de diversité amène à une meilleure prise de décisions ».

Et j’avancerais un autre argument : la France ne peut pas se passer de la moitié de ses talents (cf. le nombre de femmes diplômées). Enfin, tant mes travaux que les témoignages de grands dirigeants attestent du fait que les primo accédantes formées, compétentes, dûment sélectionnées abordent  avec un œil neuf, la stratégie, les risques, la gouvernance, le modèle de management, la RSE, créant ainsi le débat au sein de l’entreprise, et donc de la valeur ajoutée, même si au départ, on les considère comme des « emmerderesses ».

La puissance de la preuve

Evitons un débat lié aux stéréotypes, et posons l’hypothèse que les qualités féminines ne sont pas en question. Ce qui fait force ici vient de la puissance de l’idéalisation d’espaces au sein desquelles les femmes n’avaient pas accès. J’ose le parallèle avec le système des quotas qui a ouvert les portes des universités nord-américaines blanches aux minorités, et a enfin donné leur chance à des exclus de prouver qu’ils méritaient leur place.

Les candidates aux espaces de pouvoir et de direction, bien au-delà des conseils d’administration d’ailleurs, développent une appétence liée à une mission ressentie : celle d’exercer des responsabilités pour mieux faire, de respecter les règles et l’éthique plutôt que de se contenter de petits arrangements, de dire vrai, de changer les codes, bref de faire vivre un autre leadership. Féminin ? Ou, simplement, peut-être plus en phase avec un monde qui bouge vite, exige créativité et agilité, donc du jeu collectif.

Il faut soutenir les initiatives qualitatives

Dès lors, soutenir les initiatives qualitatives menées pour encourager les entreprises à réfléchir sur leur gouvernance – composition ou fonctionnement du conseil d’administration – ou accompagner les femmes constituent un moteur de changement. Que ces femmes soient en quête de mandats dans les conseils, souhaitent prendre des fonctions de direction, dans les comex ou les codir, ou désirent faire un pas de côté pour créer leur propre entreprise.

Il est intéressant de noter que la saison des assemblées générales 2016 a démontré un nouvel intérêt des actionnaires et des parties prenantes sur la place des femmes dans les conseils, en s’interrogeant sur leur parcours, au-delà des questions sur les actions mixité des entreprises.

* Complétée le 4 août 2016 pour étendre aux SA de 250 salariés

Viviane de Beaufort est notamment professeur au département Droit et Environnement de l’Entreprise à l’ESSEC et fondatrice des Women ESSEC EXEC Programmes.

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